Au clair de soir
J’étais là, posée sur un lit de forêt, un soir d’été. Comment ne pas admirer le soleil se posant sur les monts, tout là bas. Le dégradé est magique, doux, parfait. Beau aussi. Se posant au rythme de mon cœur qui s’apaise. Ce dégradé d’infini, et, au-dedans, une pastille. Orangée rouge, rondement ronde. Le soleil. Et puis l’espace d’un instant, c’est la disparition. Le soleil, je ne le vois plus.
Mais c’est bien lui qui à ce moment précis embrase le ciel. Ce dégradé est magique, oui, mais à présent, il est aussi intense. Il est rougeoyant. Et c’est pile le moment qu’a choisi une mouche pour se poser sur mon genou. Pile à l’instant du basculement. La fin et le début. La fin du monde diurne, un monde où nous humains, moi bien sûr, avons nos repères et comme la toute-puissance qui va avec. Mais ce qui est vrai le jour ne l’est pas forcément la nuit – le basculement.
D’abord cette mouche, toute petite, qui vient déjà éveiller mes sens. Et puis juste après, loin en contrebas, le renard. Tête baissée, l’air pressé, longeant l’accotement. A-t-il senti mon regard sur lui ? Derrière-moi, j’entends des cris aigus et compulsifs. Et moi, je suis immobile. Enfin non, pas tout à fait…j’ai des reflexes qui se réveillent. On dirait une chouette, sauf que je ne suis pas aussi à l’aise pour regarder derrière. Ces cris sont familiers…des marcassins ? Non. C’est le geai des chênes. Les cigales ? Je les entends de mon moins en moins, à mesure que la température baisse. D’ailleurs, je n’ai pas très chaud. Ca bouge dans les branchages. Je vois quelque chose que j’ai du mal à fixer. Je l’aperçois. C’est un rapace, je crois. Ca va trop vite pour moi. Et c’est un autre oiseau que je vois dans une trajectoire parfaite au dessus de moi. Je le vois, oui. Mais surtout, je l’entends. Il va vite, c’est une déferlante de battements d’ailes. Et moi, on dirait toujours une chouette. Plus loin sur le sentier, quelque chose marche. Je ne saurais pas dire si c’est un rongeur ou un oiseau. Et puis après, ca a été le grand manège, l’ouverture du bal…la place aux chauves-souris. Quelle merveille, aller si vite et tout contrôler !
Ce basculement, c’est en quelques sortes la fin de la toute-puissance de l’Homme, de moi. Ce basculement où l’on ne se sent plus maître, pas même de nous, pas même de rien. On est mis à nu, on n’y voit plus trop, ou on n’y voit plus rien. Ce basculement, c’est le moment où l’on voudrait être si discret en nous déplaçant, pour ne pas que l’on nous entende, en fait, pour ne pas que l’on nous attaque, et si bruyant en même temps pour effrayer ce qui tenterait de nous approcher. Ce basculement de nuit qui tombe, c’est le basculement de nuit qui nait. Cette vie-là foisonne dans un mystère que nous ne savons saisir. Cette vie-là nous apprend notre ambivalence d’Homme discret bruyant quand vient la nuit. Elle nous rend notre place d’animal dépourvu de ses savoir-faire primaires. Connectés de force à nos sens aux aguets, nous sommes dans la nuit de la forêt comme ce hérisson pris dans les phares de cette voiture qui va bien trop vite pour lui. Nous nous sentons comme la proie. Nous nous sentons désorientés. Il ne nous reste comme puissance que des bouts, des fragments d’instinct. Cet instinct qui nous pousserait à nous réunir pour former la tribu, à allumer un feu pour avoir chaud, pour éloigner, pour dissuader, se rassembler. Cet instinct qui nous dirait qu’il n’est nul besoin de rabaisser les autres espèces à des rangs inférieurs à ce qu’ils sont réellement, parce qu’elles aussi sont toute-puissante.
LaeG, été 2021, St Didier, Monts de Vaucluse
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